Problématique de la gestion des connaissance, Axe de progrès, Orientations
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Après une réflexion sur la «problématique de capitalisation des connaissances de l’entreprise », cet article positionne et met en perspective les activités et les dimensions du «management des connaissances » qui en découle. Il suggère un axe de progrès, propose de développer des initiatives selon quatre grandes orientations et induit une vision prospective du système d’information numérique centré sur le poste de travail informatisé de l’acteur-décideur.
1.Introduction
En 1993, on pouvait lire dans le livre de Peter Drucker [Drucker, 93] : « De plus en plus, la productivité du savoir va devenir pour un pays, une industrie, une entreprise, le facteur de compétitivité déterminant. En matière de savoir, aucun pays, aucune industrie, aucune entreprise ne possède un avantage ou un désavantage ‘naturel’. Le seul avantage qu’il ou elle puisse s’assurer, c’est de tirer du savoir disponible pour tous un meilleur parti que les autres ».
Aujourd’hui, les influences conjointes de la mondialisation des marchés, de la libéralisation de l’économie et de l’impact des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) engendrent des transformations structurelles rapides et l’accélération des processus de décision. L’entreprise doit tout à la fois :
- Innover sur tous les plan : innovation organisationnelle (e-business, entreprise étendue,..) ; innovation de produits et de procédés ; innovation de services.
- Réduire les cycles et les coûts de conception, de production, de mise sur le marché de ses produits et services.
- Accroître sa réactivité.
- Améliorer sans cesse la qualité de ses produits et de ses services.
A cette fin, les efforts se sont portés sur la mise en œuvre de solutions génériques qui ont un impact déterminant sur la structure organisationnelle et le comportement socioculturel des employés. Les entreprises ont investi dans les concepts et technologies suivants sans apporter une grande attention aux problèmes de gestion des connaissances sous-jacents : Management par la qualité totale (ou Total Quality Management, T.Q.M.) ; Management par projet ; Management des compétences ; Reconfiguration des processus (ou Business Process Re-engineering, B.P.R) ; Progiciel de gestion intégré (ou Enterprise Resource Planning, E.R.P.) ; Management de la logistique (ou Supply Chain Management, S.C.M.) ; Management de la relation client (ou Customer Relationship Management, C.R.M.).
Ces solutions mises en place, les firmes sont maintenant placées devant la nécessité d’accorder plus d’autonomie à chaque agent, qui se transforme ainsi en acteur-décideur quel que soit son rôle et sa position hiérarchique. Elles prennent conscience de la valeur du capital immatériel, notamment de leur capital de connaissances [Edvinsson & Malone, 97], [Pierrat & Martory, 96]. Au delà de l’approche implicite de la gestion des connaissances pratiquée au quotidien, elles ont besoin d’une approche consciente et volontariste pour survivre et présenter des avantages concurrentiels durables [Davenport & Prusak, 98]. Les entreprises doivent assurer la maîtrise des connaissances utilisées et produites au cours du déroulement de leurs processus à valeur ajoutée.
Après une brève présentation de l’Institut International pour l’Intelligence Artificielle (IIIA) et du Groupe de recherche SIGECAD (Système d’Information, GEstion des Connaissances et Aide à la Décision ) du LAMSADE, nous décrivons les courants d’influence qui ont contribué à l’émergence du concept de
« capitalisation des connaissances » et nous faisons un bref historique des étapes ayant conduit à sa mise en œuvre. Cela nous conduit à rappeler notre point de vue sur les connaissances de l’entreprise et à poser la problématique de capitalisation de ces connaissances [Grundstein, 95].
Nous positionnons ensuite le management des activités et des processus permettant d’assurer la maîtrise des connaissances dans les entreprises. Nous suggérons alors un axe de progrès, proposons de développer des initiatives selon quatre grandes orientations et introduisons une réflexion sur les caractéristiques de la démarche méthodologique, dénommée GAMETH, destinée à répondre à l’une des facettes de la problématique: le repérage des connaissances cruciales. Enfin, notre réflexion sur la capitalisation des connaissances nous conduit à distinguer trois natures d’informations (les informations circulantes, les informations sources de connaissances, les informations partagées) et induit une vision prospective du système d’information numérique centré sur le poste de travail informatisé de l’acteur-décideur.
1.1 L’Institut International pour Intelligence Artificielle (IIIA)
L’Institut IIIA est une association, loi 1901, fondée en 1989 par AEROSPATIALE, FRAMATOME, RHÔNE- POULENC, SGN, SHELL-RECHERCHE, SOLVAY et l’Université de Technologie de Compiègne (UTC).
Dès l’origine, la mission de IIIA a été de favoriser les travaux et le partage d’informations entre industriels et d’organiser les échanges avec les organismes de recherche, dans les domaines de l’intelligence artificielle, de l’informatique avancée et de l’ingénierie des connaissances.
Les activités de IIIA, qui intègrent la dimension humaine des problèmes, se traduisent par une veille technologique permanente, l’évaluation et le positionnement des techniques, des méthodes et des outils utilisés et testés par les membres industriels engagés dans ces domaines, des études de faisabilité et la mise en commun de moyens. Progressivement, les activités de IIIA ont mis en lumière l’importance de la maîtrise des connaissances pour l’entreprise. Ainsi, IIIA est devenu le lieu d’une réflexion commune et de travaux en coopération entre Industriels et Universitaires, dans le domaine de la maîtrise des connaissances en milieu industriel.
1.2 Le groupe de recherche SIGECAD (Système d’Information, GEstion des Connaissances et Aide à la Décision) du LAMSADE
Le SIGECAD s’est constitué dans le prolongement du séminaire « Gestion des connaissances et décision » initié en 1998 à l’Université Paris Dauphine sous la responsabilité de Camille Rosenthal-Sabroux, Maître de Conférence habilitée à diriger des recherches. Il regroupe des chercheurs issus du monde universitaire et du monde industriel et se place à la croisée des courants de recherche portant sur la gestion des entreprises, l’ingénierie des systèmes d’informations et de connaissances, la modélisation des processus de décision.
Les recherches du SIGECAD mettent en perspective l’intégration du concept de capitalisation des connaissances de l’entreprise dans la conception du système d’information numérique. Elles sont portées par une vision globale d’un système d’information numérique centré sur le poste de travail informatisé, instrument de travail devenu incontournable de l’acteur-décideur. Les recherches ont conduit à distinguer trois natures d’information : les informations circulantes, les informations sources de connaissances et les informations partagées.
Elles s’appuient, notamment : sur les avancées en matière de conception de systèmes d’informations circulantes fournies, par exemple, par le langage de modélisation UML et son processus de développement RUP ; sur les apports des Progiciels de Gestion Intégrés ; sur les technologies de traitement des informations partagées (GED, Groupware, workflow, CSCW, outils de fouille et de présentation de données, outils de compréhension de texte, moteurs de recherche et outils de personnalisation de l’information) ; sur les techniques de gestion des connaissances pour activer les facettes de la problématique de capitalisation des connaissances, c’est-à-dire, repérer, préserver, valoriser, actualiser les informations sources de connaissances ; sur les retombées des recherches en ingénierie des connaissances.
2. La capitalisation des connaissances de l’entreprise
2.1 L’émergence du concept de Capitalisation des connaissances : les courants d’influence
Le concept de capitalisation des connaissances subit l’influence de plusieurs courants. En effet, si l’idée sous- jacente à ce concept est que la connaissance constitue une ressource de base, le fait de le reconnaître se décline sous des formes très différentes selon que les considérations du domaine sur lequel on travaille sont d’ordre économique ou technique.
Dans son étude sur la genèse du concept de capitalisation des connaissances Alexandre Pachulski décrit trois courants d’influence, que nous avons identifié pour leur impact sur le concept de capitalisation des connaissances, [Pachulski et al, 00]: le courant économique et managérial, le courant intelligence artificielle et ingénierie des connaissances, le courant ingénierie des systèmes d’information. Nous reprenons ci-après quelques éléments significatifs de son étude.
Le courant économique et managérial
Ce courant a fortement participé à l’émergence du concept de capitalisation des connaissances tel que nous l’abordons. Cette émergence se décline selon nous en trois phases :
• Un changement du paradigme de la stratégie d’entreprise dénommée « l’approche basée sur les ressources », auquel Edith Penrose a fortement contribué. Elle fut la première à amorcer ce changement de paradigme en 1959, avec la parution de son livre intitulé : « Theory of the growth of the firm » [Penrose, 59].
Elle explique dans cet ouvrage que l’entreprise subit une perte de capital lorsqu’un employé capable, c’est-à-dire un employé dont les services interviennent dans le processus de production, quitte la firme. En conférant à la connaissance une valeur économique, au même titre que toute autre ressource matérielle faisant partie du capital, Edith Penrose a ouvert la voie à une nouvelle théorie économique qui doit placer le savoir au centre du processus de création de la richesse.
• Une nouvelle vision de l’entreprise, à travers les notions de répertoire de connaissances et de routines organisationnelles énoncées par R.R. Nelson et S.G. Winter. Dans leur ouvrage « An evolutionary theory of economic change » [Nelson & Winter, 82], les auteurs définissent la notion de compétence comme une capacité à coordonner une séquence de comportements (ou actes) en vue d’atteindre des objectifs dans un contexte donné.
Par ailleurs, ils définissent la notion de routine organisationnelle comme un schéma comportemental prédictible et régulier. Ces routines sont le siège des connaissances de l’organisation, car au-delà de toute formalisation, la meilleure manière de mémoriser les connaissances de l’organisation réside dans l’exercice de celles-ci. Ainsi, l’ensemble des routines d’une organisation constitue son répertoire de connaissances.
• Des changements organisationnels prenant en charge la problématique de capitalisation des connaissances de l’entreprise [Drucker, 93][Prahalad & Hamel, 95][Nonaka & Takeuchi , 95]. Concrètement, l’entreprise doit apprendre à établir des connections entre ses membres, c’est-à-dire mettre en relation des personnes dont la coopération sera génératrice de connaissances nouvelles et utiles pour elles-mêmes et pour l’entreprise. Ces connections peuvent s’opérer aussi bien au niveau individuel qu’au niveau d’une équipe ou de l’organisation toute entière.
Le courant intelligence artificielle et ingénierie des connaissances
L’intelligence artificielle a introduit la notion de connaissance dans l’univers informatique où il n’était question que des données et de leur traitement, les connaissances déterminant à la fois « le comportement, la configuration et la portée des programmes d’intelligence artificielle» [Ganascia, 90]. Ainsi en introduisant la connaissance comme matière première de l’informatique, l’intelligence artificielle a produit une véritable révolution : « La généralisation des techniques de résolution de problèmes induit un nouveau mode de programmation pour lequel les connaissances du domaine sont assimilables à un programme…
Le pas est franchi, on est passé d’une programmation procédurale classique à la construction d’une base de connaissances, c’est-à-dire d’une succession d’instructions, exécutables selon un ordre rigoureusement établi, à une simple description structurelle des objets de l’univers et de leurs propriétés » [Ganascia, 90]. De là vont naître les domaines de l’apprentissage, de la résolution de problèmes et plus tard de l’ingénierie des connaissances. Alan Newell et Herbert Simon [Newell & Simon, 72], en limitant le champ d’étude de la connaissance, ont fourni à l’intelligence artificielle un cadre d’étude précis, évitant ainsi de s’opposer aux courants des sciences humaines.
Le courant ingénierie des systèmes d’information
Selon J. Arsac [Arsac, 70], « une information est une formule écrite (ou enregistrée) susceptible d’apporter une connaissance. Elle est distincte d’une connaissance…. Cette définition est un principe fondamental de l’informatique…. Il est juste – précise-t-il – de parler de l’action d’informer , ou de donner une forme à une connaissance, pour en permettre la communication ou la manipulation…. ».
Cette définition de la notion d’information nous permet de comprendre ce qui différencie fondamentalement l’ingénierie des connaissances de l’ingénierie des systèmes d’information : là où le système d’information ne se doit que d’informer, l’ingénierie des connaissances se doit de donner une forme à une connaissance, pour en permettre la communication ou la manipulation. Les connaissances que l’ingénierie des connaissances aura permis
« d’extraire » d’un expert et les systèmes à base de connaissances dans lesquelles elles seront codées feront partie du système d’information, au même titre que tout document écrit.
2.2. Un bref historique
Notre expérience du développement de systèmes à base de connaissances a mis en lumière les potentialités de l’ingénierie des connaissances et des technologies de l’intelligence artificielle :
• Le développement de Systèmes à base de connaissances permet, pour chaque projet, de formaliser une partie du savoir-faire attaché à un produit, un procédé, une fabrication, un processus de travail, tout en provoquant une amélioration des activités coutumières des personnes.
• Le travail de modélisation, pratiqué par les ingénieurs de la connaissance sur les connaissances détenues par les personnes directement engagées dans les processus de production de l’entreprise, provoque des phénomènes de clarification et d’approfondissement des problèmes et de renforcement des compétences.
Mais surtout, ce travail, en modifiant notre façon de poser les problèmes, ouvre des perspectives nouvelles : il améliore considérablement notre aptitude à saisir la complexité des situations et des problèmes rencontrés; par là même, il nous permet de trouver des solutions mieux adaptées et accroît notre capacité d’innovation.
C’est ainsi que, dès 1991, dans le prolongement de notre expérience du développement de systèmes à base de connaissances, nous proposions le concept de « capitalisation des connaissances de l’entreprise » dont nous donnions la définition suivante : « Capitaliser les connaissances de l’entreprise c’est considérer les connaissances utilisées et produites par l’entreprise comme un ensemble de richesses constituant un capital, et en tirer des intérêts contribuant à augmenter la valeur de ce capital » [Grundstein, 95].
Dans le même temps d’autre initiatives se développaient. Ainsi, dés 1990, le projet IMKA7 (Initiative for Managing Knowledge Assets) définissait la notion de capital de connaissances : « Knowledge assets are (defined as) those assets that are primary in the minds of company’s employees. They include design experience, engineering skills, financial analysis skills, and competitive knowledge » [IMKA, 90]. Dans les pays anglo- saxons, le concept de Management des connaissances s’est développé à partir de 1994 et c’est en 1996 que ce concept a commencé à se concrétiser, notamment par la nomination des premiers cadres chargés de mettre en œuvre leur vision du Management des connaissances.
Tom Stewart, dans un l’article de Fortune [Stewart, 91] avertissait pour la première fois les compagnies en leur conseillant de se focaliser davantage sur leurs connaissances que sur leurs biens matériels: « Intellectual capital is becoming corporate America’s most valuable asset and can be its sharpest competitive weapon. The challenge is to find what you have – and use it. »
Depuis, Peter Drucker a identifier les savoirs comme la base nouvelle de compétitivité dans la société post- capitaliste : « More and More, the productivity of knowledge is going to become, for a country, an industry, or a company, the determining competitiveness factor. In the matter of knowledge, no country, no one in industry, no one company has a ‘natural’ advantage or disadvantage. The only advantage that it can ensure to itself is to be able to draw more from the knowledge available to all than others are able to do. » [Drucker, 93].
En 1995, Nonaka et Takeuchi, publiaient un livre remarquable sur la formation des connaissances et son utilisation dans les entreprises japonaises : The Knowledge-Creating Compagny [Nonaka & Takeuchi, 95].
La même année Dorothy Leonard-Barton publiait une étude sur le rôle des connaissances dans les entreprises de fabrication : Wellsprings of Knowledge [Leonard-Barton, 95]. De nombreux ouvrages sont sortis depuis.
Dans le courant de l’année 1997 des postes de « responsable de la gestion des connaissances et du capital intellectuel » sont apparus dans de nombreuses firmes essentiellement anglo-saxonnes[Grundstein, 98]. En France, on peut aussi citer la société COFINOGA qui a créé, dès le début de l’année 1999, un poste de Knowledge Manager et le Bureau VERITAS qui a fait apparaître une fonction de Knowledge Management dans son organigramme à la fin de l’année 1999. Bien d ’autres postes ont été créés en France depuis lors. Sans que cette désignation ne soit spécifiquement attribuée, de nombreuses sociétés, pour la plupart ayant une expérience dans le développement et le déploiement de systèmes à base de connaissances, développent des activités dans ce domaine.
Encore faut-il convenir de la spécificité des connaissances utilisées et produites au sein de l’entreprise. Dans ce qui suit, après avoir porté notre regard sur les connaissances de l’entreprise, nous apportons un éclairage sur la notion de compétence, nous montrons le rôle des connaissances individuelles dans la création des connaissances organisationnelles et nous attirons l’attention sur le caractère privé de ces connaissances. Puis, une réflexion sur la formation des connaissances individuelles nous amène à nous interroger sur le caractère objectivable de la connaissance. Enfin, nous reprenons les quatre modes de conversion des connaissances mis en lumière par Ikujiro Nonaka et Hirotaka Takeuchi [Nonaka & Takeuchi, 95].
Les deux catégories de connaissances de l’entreprise
Connaissance de l’entreprise
Savoir de l’entreprise Connaissance explicites |
Savoir-faire de l’entreprise Connaissances tacites |
Formalisées et spécialisées | Explicables ou non adaptives |
Données, procédures, modèles, algorithmes, documents d’analyse et de synthèse… | Connaissance des contextes décisionnels Talents, habiletés, tours de main , « secrets » de métiers, « routines »,… |
Hétérogènes, incomplètes ou redondantes , Fortement marquées par les circonstances de leur création. N’expriment pas le « non-dit » de ceux qui les ont formalisées |
Acquises par la pratique. Souvent transmises par apprentissage collectif implicite ou selon une logique « maître-apprenti » |
Réparties | Localisées |
Représentatives de l’expérience et de la culture de l’entreprise. Emmagasinées dans les archives, les armoires, les systèmes informatisés, et les têtes des personne. Encapsulées dans les procédés, les produits et les services. Caractérisent les capacités d’étude, de réalisation, de vente, de support des produits et des services. Constituent et produisent la valeur ajoutée de ses processus organisationnels et de production
Source : Michel Grundstein, Adapté de Monterrey, 1994
Dans les entreprises, nous vivions avec l’assurance de posséder les savoirs, ou tout du moins de pouvoir les maîtriser au travers d’une gestion documentaire de plus en plus performante et intelligente.
Nous ne percevons l’importance des savoir-faire que depuis peu. Sous l’influence de la pression économique, qui se traduit par la compression des effectifs, la mobilité des personnes, l’accélération des départs en retraite anticipée, on se rend compte que les savoirs, tout aussi détaillés puissent-il être dans les procédures et les documents, ne sont pas suffisants : des tâches que nous savions exécuter dans des conditions précises de sûreté, de qualité, de rentabilité, ne sont pas directement exécutables, dans les mêmes conditions, par des novices uniquement outillés par ces procédures et ces documents.
Dès à présent, l’ingénierie des connaissances et les technologies de l’intelligence artificielle, de l’information et de la communication, fournissent les instruments permettant d’aller plus loin en formalisant davantage de savoir-faire, en favorisant une plus grande distribution des savoirs ainsi consolidés, en suscitant des échanges non structurés d’informations numériques (texte, voix, images) et en rendant possible le partage de connaissances tacites au travers de travaux collaboratifs ne nécessitant plus d’unité de lieu.
Cependant, les savoir-faire sont difficiles à localiser et ne sont pas toujours formalisables. L’apprentissage, bien qu’il soit considérablement accéléré par l’accès aux savoirs et par les possibilités nouvelles d’échange et de partage des connaissances, reste nécessaire.
Ce regard porté sur les connaissances de l’entreprise met en lumière l’importance des connaissances tacites. Il montre l’intérêt de favoriser : d’une part, l’échange et le partage de ces connaissances ; d’autre part, la transformation de ces connaissances en connaissances explicites et d’élargir ainsi le champ des connaissances susceptibles d’être géré par des règles de propriété industrielle. Il suscite trois observations : la première concerne la notion de compétence, la deuxième porte sur la dimension privée des connaissances individuelles, la dernière, partant d’une réflexion sur la formation des connaissances tacites, amène à penser que la connaissance n’est pas objectivable.
3.2. La notion de compétence
Une première observation conduit à différencier la notion de compétence de la notion de savoir-faire. En effet, parler des savoirs et des savoir-faire utilisés et produits par l’entreprise ne préjuge pas de la façon dont ces connaissances sont mises en œuvre au quotidien, dans des situations opérationnelles soumises à des contraintes techniques, économiques et psychosociologiques. De ce point de vue, on peut évoquer la notion de compétence comme la capacité des personnes à mettre en œuvre les savoirs et els savoir-faire constitutifs des connaissances de l’entreprise dans des conditions de travail contraintes données : le poste de travail, un rôle déterminé, une mission spécifique.
Ainsi la compétence se réalise dans l’action : c’est un processus qui, au-delà des savoirs et des savoir-faire, fait appel aux comportements des personnes, à leur savoir être, à leurs attitudes éthiques [Grundstein, 95]. Cependant, s’agissant de l’entreprise, la notion de compétence devient ambiguë selon que l’on parle de compétences collectives ou de compétences individuelles. Parmi de nombreux auteurs citons Manfred Mark pour ce qui concerne la construction des compétences collectives [Mark, 97] et Guy Le Boterf pour ce qui concerne la construction des compétences individuelles [Le Boterf, 94].
3.3. La dimension privée et la dimension collective des connaissances individuelles
La deuxième observation porte sur les connaissances individuelles. Si l’on considère les «savoir-faire de l’entreprise », on peut penser qu’ils reposent strictement sur des connaissances individuelles. Néanmoins, certaines connaissances individuelles ont une dimension collective qui se traduit par des compétences et des logiques d’action spécifiques de l’entreprise. Cette observation conduit à nous interroger sur la dimension collective et la dimension privée des connaissances individuelles.
Nous reprenons ici la classification des connaissances de Michael Polanyi9. Partant du fait que nous pouvons connaître plus que nous pouvons dire – «we can know more than we can tell » -, il classe la connaissance humaine en deux catégories : « les connaissances explicites se réfèrent à la connaissance qui peut être exprimée sous forme de mots, de dessins, d’autres moyens « articulés » notamment les métaphores ; les connaissances tacites sont les connaissances qui sont difficilement exprimables quelle que soit la forme du langage [Polanyi, 66] ». Ainsi, nous distinguerons (voir figure 2) : d’une part, les connaissances individuelles explicites, articulées ou formalisées ; d’autre part, les connaissances individuelles tacites, celles dont la personne a conscience ou non de posséder.
Comme le souligne Philippe Baumard : « C’est ainsi que la personne peut savoir plus qu’elle ne peut exprimer ou savoir plus qu’elle ne veut dire » [Baumard, 96].
Les «connaissances individuelles explicites » s’expriment sous forme de discours, de métaphores, d’analogies, de représentations schématiques ; ou se matérialisent sous forme de notes personnelles, consignées sur des feuilles volantes, des carnets de notes, des aides mémoires, des ébauches de documents divers structurés ou non, des fichiers informatiques privés.
Les «connaissances individuelles tacites » se manifestent dans des talents, des habilités, des tours de main individuels, des croyances et des comportements partagés (traditions, communauté d’intérêts et de pratiques, connivence, pensée unique,…).
Dans l’action, la part des «connaissances individuelles », utilisée et mise en œuvre auquotidien, combinée aux savoirs de l’entreprise, caractérise les compétences qui permettent à un groupe de personnes de réaliser des tâches complexes et propres à l’organisation. Ces connaissances sont d’autant plus difficiles à identifier qu’elles résultent d’un apprentissage collectif et sont produites par un ensemble de personnes rompues à travailler ensemble et à accomplir des tâches collectives et spécialisées.
Non visible au plan de l’entreprise, mais néanmoins utilisée et mise en œuvre au profit del’entreprise, cette part des «connaissances individuelles » entre dans la catégorie des «savoir-faire de l’entreprise ». Cependant, si la part des connaissances individuelles acquises par interaction avec un groupe de personnes au sein de l’entreprise a une dimension collective, dans la mesure ou ces connaissances individuelles ne sont pas formalisées et disséminées, elles conservent un caractère privé.
3.4. La formation des connaissances tacites
La dernière observation porte sur la formation de la connaissance tacite. Elle est fondée sur les théories du professeur Shigehisa Tsuchiya 10 concernant la création de la connaissance organisationnelle. De son point de vue, bien que les termes donnée, information et connaissance soient souvent utilisés indistinctement, il existe une distinction claire entre ces termes : « Although terms “datum”, “information”, and “knowledge” are often used interchangeably, there exists a clear distinction among them. When datum is sense-given through interpretative framework, it becomes information, and when information is sense-read through interpretative framework, it becomes knowledge. » [Tsuchiya, 93].
Le schéma présenté sur la figure 3 montre notre propre interprétation de ce point de vue : la connaissance tacite qui réside au sein de notre cerveau résulte du sens que nous donnons – au travers de nos schémas d’interprétation – aux données que nous percevons à partir des informations qui nous sont transmises.
En d’autres termes, nous considérons que les connaissances n’existent que dans la rencontre d’un sujet avec une donnée. Ces connaissances individuelles sont des connaissances tacites, explicitables ou non, et peuvent être transformées ultérieurement en des connaissances collectives, car partagées avec d’autres personnes. Le professeur Shigehisa Tsuchiya met l’accent sur la façon dont la connaissance organisationnelle (la connaissance collective), est crée au travers du dialogue.
Pour qu’il y ait création des connaissances organisationnelles, indispensables à la décision et l’action, il est nécessaire que les schémas d’interprétation de chacun des membres de l’organisation possèdent un minimum de représentation commune qu’il appelle «commensurabilité ». Nous paraphrasons ici sa pensée : « La source originelle de la connaissance organisationnelle est la connaissance tacite individuelle des membres de l’organisation. Cependant, la connaissance organisationnelle n’est pas que le rassemblement de ces connaissances individuelles. La connaissance des personnes doit être articulée, partagée et légitimée avant de devenir une connaissance organisationnelle.
La connaissance individuelle est partagée au travers du dialogue. Etant donné que la connaissance est surtout tacite, elle doit d’abord être articulée et exprimée dans le langage au sens général. Ensuite, la connaissance individuelle articulée, qui est de l’information pour les autres personnes, a besoin d’être communiquée parmi les membres de l’organisation. Il est important de distinguer clairement entre le partage d’informations et le partage de connaissances.
L’information ne devient connaissance que lorsqu’elle est comprise par le schéma d’interprétation du receveur qui lui donne un sens (sense-read). Toute information inconsistante avec ce schéma d’interprétation n’est pas perçue dans la plupart des cas. Ainsi, la «commensurabilité » des schémas d’interprétations des membres de l’organisation est indispensable pour que les connaissances individuelles soient partagées. » [Tsuchiya, 93].
En résumé, on peut dire que la connaissance existe dans l’interaction entre une personne et une donnée. Cette connaissance individuelle est tacite. Elle peut ou ne peut pas être exprimable. Elle devient collective quand elle est partagée avec d’autres personnes si les schémas d’interprétation de chacune d’entre elles sont commensurables, c’est-à-dire permettent un minimum d’interprétation de sens, commun à tous les membres de l’organisation.
Ainsi, nous sommes amenés à penser que la connaissance n’est pas objectivable. Cette idée est apparemment contradictoire avec l’idée de connaissances objectivables portée par l’ingénierie des connaissances qui conduit à des techniques et des méthodes de modélisation et de représentation des connaissances. Cependant pour les applications de ce champ de recherche, implantées sous forme de systèmes informatiques, on peut dire que ces réalisations sont des projections codées de la connaissance acquise, formalisée et représentée. Ces projections par nature réductrices, ne sont que des informations sources de connaissances pour l’individu ou l’artefact capable de les interpréter.
3.5. Les quatre modes de conversion des connaissances
Le regard porté sur les connaissances de l’entreprise dans les paragraphes précédents se retrouve chez Ikujiro Nonaka et Hirotaka Takeuchi, deux auteurs japonais qui, se référant à Michael Polanyi, distinguent deux types
de connaissances, les connaissances explicites et les connaissances tacites : « Les connaissances explicites se résument à ce qui est chiffrable, intelligible, directement compréhensible et exprimable par chaque individu dans l’organisation. Les connaissances tacites, communément appelées savoir-faire, sont propres à chaque individu ; elles sont constituées, d’une part, de son expertise technique informelle et, d autre part, de ses croyances et aspirations personnelles considérées par les auteurs comme une forme particulière des connaissances. » [Nonaka & Takeuchi, 95]. Compte tenu de cette double nature des connaissances, Ikujiro Nonaka et Hirotaka Takeuchi décrivent notamment quatre modes de conversion de la connaissance au sein d’une organisation (voir figure 4) :
Les quatre modes de conversion de la connaissance
(d’après Ikujiro nonaka et Hirotaka Takeuchi)
Connaissance Tacite | Connaissance Explicite | |
Connaissance Tacite | Socialisation | Extériorisation |
Connaissance Explicite | Intériorisation | Combinaison |
- 1. Du tacite au tacite, c’est la socialisation (socialization) où les connaissances tacites des uns (notamment celui du maître) sont transmises directement aux autres (notamment à l’apprenti) sous forme de connaissances tacites, par l’observation, l’imitation et la pratique. Au cours de ce processus aucun des protagonistes n’explicite son art pour le rendre directement accessible à tous. Ces connaissances ne pourront donc pas être exploitées au niveau collectif de l’entreprise.
- Du tacite à l’explicite, c’est l’extériorisation (externalization) où l’individu essaie d’expliquer son art et de convertir son expérience en connaissances explicites.
- De l’explicite à l’explicite, c’est la combinaison (combination ) où l’individu combine divers éléments de connaissances explicites pour constituer de nouvelles connaissances, explicites elles aussi.
- De l’explicite au tacite, c’est l’intériorisation (internalization) où, peu à peu, les connaissances explicites diffusées dans l’organisation sont assimilées par le personnel. Ces nouvelles connaissances viennent compléter la somme des connaissances dont dispose l’individu. Elles sont intériorisées et deviennent partie intégrante de chacun. Les connaissances explicites deviennent tacites.
Pour Ikujiro Nonaka et Hirotaka Takeuchi «les connaissances explicites peuvent être facilement exprimées dans des documents mais sont moins susceptibles de déboucher sur une innovation majeure que les connaissances tacites, c’est-à-dire les connaissances acquises par l’expérience et difficilement exprimables, qui sont à la source du processus d’innovation. ».
4. La problématique de capitalisation des connaissances de l’entreprise
Aujourd’hui les concepts de « capitalisation des connaissances » et de « management des connaissances » sont divulgués au travers de nombreuses publications, de forums et de congrès au point que la question se pose de savoir si ce n’est pas une nouvelle mode managériale appelée à générer un renouvellement de l’offre de conseils, de produits et de services, qui risque de se révéler bien en deçà des espoirs qu’elle aura suscités. Dans ce qui suit, nous nous proposons de poser la problématique, indépendamment des différent courants d’influence qui contribuent à la propagation de ces concepts. Cette problématique est caractérisée par cinq facettes et leurs interactions, représentées sur la figure 5 .
4.1. Les facettes de la problématique de capitalisation des connaissances de l’entreprise
Les 5 facettes de la problématique
La première facette de la problématique concerne les problèmes liés au repérage des connaissances cruciales, c’est-à-dire les savoirs (connaissances explicites) et les savoir-faire (connaissances tacites) qui sont nécessaires aux processus de décision et au déroulement des processus essentiels qui constituent le cœur des activités de l’entreprise : il faut les identifier, les localiser, les caractériser, en faire des cartographies, estimer leur valeur économique et les hiérarchiser.
La deuxième facette de la problématique concerne les problèmes liés à la préservation des connaissances : il faut les acquérir auprès des porteurs de connaissances, les modéliser, les formaliser et les conserver.
La troisième facette de la problématique concerne les problèmes liés à la valorisation des connaissances : il faut les mettre au service du développement et de l’expansion de l’entreprise c’est-à-dire les rendre accessibles selon certaines règles de confidentialité et de sécurité, les diffuser, les partager, les exploiter, les combiner et créer des connaissances nouvelles.
La quatrième facette de la problématique concerne les problèmes liés à l’actualisation des connaissances : il faut les évaluer, les mettre à jour, les standardiser et les enrichir au fur et à mesure des retours d’expériences, de la création de connaissances nouvelles et de l’apport de connaissances externes.
La cinquième facette de la problématique concerne les interactions entre les différents problèmes mentionnés précédemment. C’est là que se positionne le management des activités et des processus destinés à amplifier l’utilisation et la création des connaissances dans les organisations, communément appelé “ Management des connaissances ” dans de nombreuses publications.
En fait, l’expression “ Management des connaissances ” couvre “ toutes les actions managériales visant à répondre à la problématique de capitalisation des connaissances dans son ensemble” : il faut aligner le management des connaissances sur les orientations stratégiques de l’organisation ; mobiliser tous les acteurs de l’organisation, les sensibiliser, les former, les encourager et les motiver ; organiser et piloter les activités et les processus spécifiques conduisant vers plus de maîtrise des connaissances ; susciter la mise en place des conditions favorables au travail coopératif et encourager le partage des connaissances; élaborer des indicateurs permettant d’assurer le suivi et la coordination des actions engagées, de mesurer les résultats et de déterminer la pertinence et les impacts de ces actions .
En résumé, « Capitaliser les connaissances de l’entreprise » consiste à repérer ses connaissances cruciales, à les préserver et les pérenniser tout en faisant en sorte qu’elles soient partagées et utilisées par le plus grand nombre au profit de l’augmentation de richesse de l’entreprise « . En fait il s’agit de renforcer tout ce qui – au delà des tâches répétitives et automatisables – peut améliorer les moyens de gestion des savoirs, permettre de formaliser des pans de savoir-faire et partager les connaissances non structurées.
Il ne s’agit pas de gérer les ressources humaines, c’est-à-dire de faire en sorte d’avoir à tout moment les personnes capables, à partir de leur savoir-faire et moyennant la mise à disposition des savoirs, de s’adapter aux situations et de faire face à leurs missions dans des conditions optimum. Ceci est du domaine de la gestion des compétences. Il ne s’agit pas non plus de réorganiser l’entreprise, d’optimiser ses processus, d’améliorer ses moyens de communication notamment son système d’information.
Cela serait du domaine de l’organisation et de la gestion de l’entreprise. Il s’agit surtout d’apporter à chacun de ces objectifs, tous tendus vers des résultats de production soumis aux contraintes culturelles (valeurs, croyances), économiques et sociales, un facteur de création de richesse complémentaire et décisif : la maîtrise des savoirs et des savoir-faire.
4.2. La maîtrise des connaissances dans les entreprises
Le management des activités et des processus permettant d’assurer la maîtrise des connaissances dans les entreprises, que nous désignons par la suite sous l’expression « Management des connaissances dans les entreprises », peut se décliner sur trois plans : au plan des orientations stratégiques et des programmes d’action ; au plan du pilotage opérationnel ; au plan du déploiement des solutions.
1. Au plan des orientations stratégiques et des programmes d’action, les questions sont orientées vers les problèmes liés à la stratégie et aux orientations concernant le management des connaissances : Comment articuler le management des connaissances avec les orientations stratégiques de l’entreprise ? Comment sensibiliser au management des connaissances ? Comment définir le cadre et les axes d’actions ? Comment évaluer l’état de maturité de l’entreprise au plan de sa capacité à mettre en œuvre un programme de management des connaissances ? Quels sont les impacts prévisibles ? Comment réunir les conditions favorables ? Quelles sont les activités à développer et promouvoir ? Quels indicateurs mettre en place ? Comment faire émerger les structures organisationnelles nécessaires et attribuer les rôles ? Comment créer et encourager les processus de changement conduisant vers plus de partage de connaissances ?
2. Au plan du pilotage opérationnel, les questions sont orientées vers les problèmes liés à l’activation du cycle de capitalisation : Quels processus mettre en œuvre pour actionner le cycle représentatif de la problématique ? Comment faciliter ces processus ? Comment s’y prendre, selon quelle démarche, avec quelles méthodes et quels outils ? Quelles applications développer ? Comment les définir et les concevoir ? Comment choisir les technologies les plus adaptées ? Comment justifier l’investissement nécessaire ? Comment valider la valeur des connaissances ? Comment définir le seuil de rentabilité ?
3. Au plan du déploiement des solutions, les questions sont orientées vers les problèmes liés aux méthodes, à l’infrastructure technologique, aux techniques et outils de gestion des connaissances : Quelles sont les technologies (méthodes, techniques et outils) pertinentes ? Comment mettre en œuvre les solutions choisies?
4.3. Les trois dimensions du management des activités et des processus de gestion des connaissances de l’entreprise
Tout en gardant à l’esprit que l’organisation doit évoluer d’elle-même par amplification de sa propre diversité, en créant de nouveaux schémas de pensées et de comportement, parler du management des activités de gestion des connaissances de l’entreprise implique de considérer la problématique de capitalisation des connaissances sous trois points de vue complémentaires fortement imbriqués par leurs liens et leurs interactions (voir figure 6) :
1. Le point de vue structurel dont l’objet est l’entreprise : ses valeurs, sa structure, son mode de pilotage et de fonctionnement, ses critères économiques et financiers, ses compétences clés, ses processus à valeurs ajoutées, et les activités et processus de capitalisation des connaissances à promouvoir, organiser et développer.
2. Le point de vue socioculturel dont l’objet est le comportement des groupes et des personnes, acteurs de la capitalisation des connaissances au sein de l’entreprise : leurs besoins, leurs pouvoirs, leurs zones d’autonomie, leurs responsabilités, leurs compétences, leurs modes de rémunération, leur culture professionnelle, leur éthique et leurs valeurs.
3. Le point de vue technologique dont l’objet est l’ensemble des savoirs, des techniques, des méthodes et des outils qui apportent les supports nécessaires à la mise en œuvre des activités et au déroulement des processus de capitalisation des connaissances.
5. Les perspectives du management des connaissances dans les entreprises
Les savoirs de l’entreprise, connaissances explicites formalisées et disséminées, représentent le champ des connaissances susceptibles d’être gérées par des règles de propriété industrielle. En tant que tels ils constituent des éléments tangibles, indépendants des personnes, objets négociables dans le cadre des transferts de connaissances. Ces savoirs de l’entreprise sont le fruit des processus de conversion des connaissances mis en lumière par Ikujiro Nonaka et Hirotaka Takeuchi [Nonaka & Takeuchi, 95].
Ils sont le résultat d’une suite d’opérations qui, partant de la dimension privée et non formalisée des connaissances individuelles, détermine la dimension collective des connaissances de l’entreprise. Sous peine d’être fossilisés et perdre toute valeur d’usage, ces savoirs doivent être revitalisés en permanence.
5.1. L’axe de progrès
C’est ce processus global qu’il s’agit de renforcer, selon un axe de progrès (voir figure 7) favorisant la production de connaissances individuelles et leur passage de leur état «non formalisé et privé » à un état «formalisé et disséminé », selon la spirale de conversion de Nonaka et Takeuchi. L’axe de progrès indique une direction qui vise à accroître les connaissances structurées, gage de pérennité à long terme.
De plus, il place la problématique de capitalisation des connaissances dans une perspective dynamique qui met en synergie les échanges de connaissances non-structurées qui s’opèrent dans les processus de socialisation, et l’accès aux connaissances structurées qui se construisent dans les processus de combinaison.
C’est cette synergie qui est le facteur de création de la valeur ajoutée par les connaissances aux processus finalisés de l’entreprise
5.2. Les quatre orientations souhaitables
L’axe de progrès que nous venons d’énoncer suppose d’articuler les efforts de management des activités de gestion des connaissances de l’entreprise selon quatre grandes orientations. Ces orientations sont décrites ci- dessous :
1. Mettre en place les conditions favorisant les processus de production, de formalisation et de dissémination des savoir-faire
Il s’agit de mettre en lumière l’importance de la création active de connaissances dans une organisation : il faut encourager un apprentissage organisationnel systématique c’est-à-dire favoriser les processus organisationnels permettant d’amplifier les connaissances individuelles et de les cristalliser au niveau collectif au travers du dialogue, des discussions, du partage d’expérience, de l’observation ; il faut favoriser les interactions et le travail en réseau ; il faut repérer les connaissances cruciales, les préserver, les valoriser et les actualiser.
2. Promouvoir et développer des actions de revitalisation des savoirs fossilisés
Au-delà des savoirs activés au quotidien par l’usage qui en est fait il ne faut pas négliger les connaissances enfouies (text-mining, data-mining and knowledge discovery, information search and retrievial, intelligent agents, modèles de visualisation et de présentation des informations,…) ; il faut encourager le retour d’expérience (REX, Raisonnement à base de cas,…) ; il faut organiser la mémoire d’entreprise (Livre de connaissances [Ermine, 96], Systèmes à Base de Connaissances [Schreiber et al, 00] , Entrepôts de données,…).
3. Renforcer les moyens de gestion des savoirs
Il s’agit de renforcer – au-delà des tâches répétitives et automatisables – tout ce qui peut améliorer les moyens de gestion des savoirs (logiciels d’aide à la décision, logiciels de gestion des compétences, systèmes de gestion des meilleures pratiques, GED,…) et permettre de formaliser des pans de savoir-faire (ingénierie des connaissances et méthodes et techniques associées [Aussenac et al, 96] [Charlet et al, 00] ).
4. Exploiter les potentiels des nouvelles technologies de l’information et de la communication
Il s’agit de développer les échanges de savoir-faire, de créer des communautés de pratiques en utilisant les potentiels apportés par les nouvelles technologies de l’information et de la communication (Intranet, Groupware,…), et d’inventer de nouvelles forme de compagnonnage au travers des réseaux électroniques.
5.4. Les approches complémentaires et convergentes
Il faut insister sur le fait que la capitalisation des connaissances est une problématique permanente, omniprésente dans les activités de chacun, qui devrait notamment imprégner de plus en plus la fonction de management. Cela peut se traduire sous trois formes :
1. La problématique peut être traitée au plan stratégique et décisionnel et devenir l’objet d’une fonction spécifique de l’entreprise ou de l’une de ses entités. On parlera alors d’une fonction de Management du Capital Intellectuel [Edvinsson & Malone, 97] ou d’une fonction de Gestion des Connaissances de l’Entreprise : c’est une approche « top-down » préconisée par certains auteurs [Wiig, 92], [Van der Spek, 93].
Cette approche est mise en œuvre dans quelques entreprises où la fonction de Directeur du Capital Intellectuel oude Directeur de la Gestion des Connaissances a été créée (SKANDIA AFS, DOW CHEMICAL COMPANY, MONSANTO COMPANY) [ICM, 97] [Grundstein & Malhotra, 98].
2. La problématique est prise en charge par l’encadrement intermédiaire, acteurs qui mettent en relation les orientations stratégiques de la direction générale avec l’expérience pratique du terrain et favorisent, voire catalysent, les processus d’innovation et de capitalisation des connaissances : c’est l’approche « Middle-up-down Management » préconisée par Ikujiro Nonaka et Hirotaka Takeuchi.
De leur point de vue, dans les entreprises fondées sur les connaissances, c’est à ce niveau d’encadrement que la connaissance tacite, détenue à la fois par les acteurs de terrains et les cadres dirigeants est synthétisée, explicitée, et incorporée dans des technologies et des produits nouveaux. Ainsi, les cadres intermédiaires seraient les véritables ingénieurs de la connaissance [Nonaka & Takeuchi, 95].
3. La problématique peut se réduire au plan opérationnel à un objectif spécifique qui vient se greffer aux objectifs directement opératoires de projets de réalisations industrielles. On parlera alors de fonctionnalités de capitalisation des connaissances : c’est l’approche représentée sur la figure 8.
Dans cette approche, une première étape consiste à s’assurer de l’opportunité de capitaliser sur les connaissances mises en œuvre dans le projet considéré. C’est la démarche GAMETH(Global Analysis METHodology). Cette démarche se situe dans le prolongement du projet CORPUS12 développé chez Framatome de 1991 à 1996. GAMETH fournit un cadre directeur permettant de réaliser l’étude d’opportunité. Elle induit une démarche conduisant à repérer, localiser et caractériser les connaissances cruciales pour le projet considéré. Ce cadre présente trois caractéristiques essentielles qui sont décrites ci-après.
Les caractéristiques de GAMETH
GAMETH ne repose pas sur l’analyse stratégique des objectifs de l’entreprise. C’est une démarche fondée sur l’analyse des connaissances utiles aux activités qui contribuent au bon déroulement des processus organisationnels et des processus de production mis en œuvre pour satisfaire les missions de l’entreprise. La démarche est « dirigée par les problèmes ». Elle se conduit indépendamment de toute anticipation de solution. Elle est centrée sur les processus finalisés de l’entreprise. Elle relie les connaissances à l’action (on ne sépare pas les connaissances des activités qui les utilisent). Elle repose sur une modélisation des processus par construction en commun.
Une démarche « dirigée par les problèmes » indépendante de toute anticipation de solution
Habituellement, l’étude est dirigée par les solutions. La démarche s’appuie sur des besoins précis de connaissances exprimés a priori et on apporte une réponse en fonction des outils dont on dispose. En fait, on ne résout pas le problème générateur du besoin, on tente de trouver une solution au problème généré par la recherche d’un moyen répondant au mieux aux besoins exprimés.
Par exemple, on exprimera le besoin de conserver les connaissances d’un expert et, ayant en tête une solution type système expert, on se posera le problème du choix de l’outil susceptible de supporter le codage de ces connaissances sans que la question de l’utilisation de ces connaissances, c’est-à-dire de l’identification des problèmes les nécessitant pour être résolus, ne soit abordée.
En fait, la condition essentielle du processus de décision est d’aboutir à l’énoncé d’un problème bien posé, c’est- à-dire comme le souligne Gilbert de Terssac « un problème dont le caractère crucial vient d’une estimation produite collectivement et d’une formulation estimée acceptable par toutes les parties » [Soubie & de Terssac, 91]. La démarche que nous proposons est orientée par ce point de vue. Elle se conduit indépendamment de toute anticipation de solution. Elle est caractérisée par le fait qu’elle est dirigée par les problèmes et non par les solutions : on repère les problèmes, on clarifie les besoins en connaissances qu’ils nécessitent pour être résolus en fonction des situations qui les génèrent, on caractérise ces connaissances puis on détermine les solutions les plus adaptées aux situations génératrices des problèmes (procédures, modules de formation, systèmes à base de connaissances, systèmes intelligents de documentation, hypermédia, etc.).
Une démarche, centrée sur les processus, qui relie les connaissances à l’action
La démarche est fondée sur le postulat que la connaissance n’est pas objectivable. En d’autres termes nous considérons que les connaissances n’existent que dans la rencontre d’un sujet avec une donnée. Cela conduit à s’intéresser aux connaissances liées aux activités des acteurs-décideurs, engagés dans les processus finalisés de l’entreprise (processus de production et de fonctionnement). Plutôt que de s’intéresser aux connaissances dans l’absolu, la démarche est centrée sur les connaissances directement liées aux activités qui contribuent au déroulement des processus sensibles, c’est-à-dire les processus qui présentent un enjeu reconnu collectivement.
Une démarche qui repose sur une modélisation des processus par construction en commun.
La démarche de modélisation des processus, induite par GAMETH, est comparable à la démarche de construction des systèmes à base de connaissances envisagée comme «un effort de coopération pour construire en commun un objet inconnu » [Grundstein, 94]. Elle est issue du constat que les processus décrits dans les nombreuses procédures définissant les règles d’action et les modes opératoires, diffèrent fréquemment des processus réels vécus par les acteurs. Elle consiste à construire la représentation des processus à partir des connaissances partielles qu’en ont les acteurs au travers des activités réelles qu’ils sont amenés à exercer. Tout au long du déroulement de l’étude, les problèmes rencontrés donnent lieu à l’identification des liens informels de communication entre acteurs, non décrits dans les documents, et au repérage des connaissances nécessaires à la résolution de ces problèmes.
La démarche GAMETH a donné naissance à une démarche instrumentée développée par la société de service Actionel (devenue Salustro Reydel Management). Elle est l’objet d’une recherche menée par le groupe de recherche SIGECAD [Pachulski et al, 00].
5.3. Les domaines de recherche
La recherche s’effectue dans deux domaines complémentaires : un domaine de recherche à dominante socio- économique et un domaine de recherche à dominante technologique. A titre d’exemple, nous pouvons citer les axes de recherche suivants :
Domaine de recherche à dominante socio-économique
• Capital Intellectuel
-> Leif Edvinsson, Michael S. Malone: Intellectual capital. HarperBusiness, New York, 1997. Christian Pierrat, Bernard Martory: La gestion de l’immatériel. Editions Nathan, Paris 1996.
Réflexions sur le Capital humain, le Capital structurel (organisationnel, Procédé, Innovation), le Capital client.
• Capital social
Thomas H. Davenport, Laurence Prusak : Working Knowledge. How Organizations Manage What They Know. Harvard Business School Press, Boston, 1998.
-> Réflexion sur les structures sociales informelles qui met en exergue l’importance des contacts et de la confiance (connections and trust)
-> Réflexions sur les Communautés de pratique (Etienne Wenger Knowledge Directions The Journal of The Institute for Knowledge Management Vol 1, Fall 1999) qui préconise de tracer le graphique des liens de communication entre les personne engagées dans les processus afin de déterminer les communautés de pratiques et leur fournir les conditions de leur épanouissement (temps, espace de rencontre, logiciels de communication,…);
• Entreprise apprenante
-> Manfred Mack [Mark, 97]; Argyris C. & Schön D. : Organizational Learning, a theory of action perspective. Reading Mass, 1978.
• Management des activités et des processus pour le partage des connaissances
-> Association ECRIN, Action « Capitalisation Technologique et Redéploiement des Connaissances », Groupe
« Management des connaissances ».
Domaine de recherche à dominante technologique (Science cognitive, Intelligence artificielle et Ingénierie des connaissances, Ingénierie des systèmes d’information):
• Gestion des documents
-> GED, text mining, outils de visualisation, agents intelligents, outils de recherche et d’indexation.
• Mémoire d ’entreprise
-> Club CRIN « Ingénierie du Traitement de l ’Information » Groupe « Outils et méthodes pour la mémoire d ’entreprise » (REX, Knowledge data wharehousing, logiciels d’aide à la décision)
• Postes de travail des « Knowledge Workers »
-> Projet ESPRIT 28678 Knowledge Desktop Environment (KDE) Bureau Veritas, Eutech (filiale de ICI), Université d ’Amsterdam (Joost Breuker CommonKADS), TXT (société d’ingénierie italienne) et Intrasoft (société d’ingénierie grecque).
-> LAMSADE Paris-Dauphine Groupe de recherche SIGECAD orienté sur l’aide à la décision et le poste de travail de l’acteur-décideur.
6. Vers un système d’information numérique centré sur l’acteur- décideur à son poste de travail
La capitalisation des connaissances est une problématique permanente, omniprésente dans les activités de chaque employé : il faut accélérer les processus de décision et en améliorer le fondement ; il faut rendre la personne plus performante dans l’exercice de ses activités, lui permettre d’acquérir de nouveaux savoir-faire, de maintenir et d’élever son niveau de compétence ; il faut favoriser son autonomie et la rendre plus mobile et plus apte à affronter les fluctuations engendrées par les contraintes économiques.
Cela implique de mettre en place un système d’information numérique ouvert et adaptatif, qui donne à chaque acteur, à son poste de travail, les moyens de fournir, de recevoir, d’accéder et de partager «la plus large variété d’informations qu’il juge nécessaires et ce le plus rapidement possible». Ainsi nos recherches ont conduit à distinguer trois natures de d’informations et à élaborer une vision du système d’information numérique centré sur l’acteur-décideur à son poste de travail informatisé [Grundstein & Rosenthal-Sabroux, 99].
6.1. Les différentes natures de l’information
Notre réflexion sur la capitalisation des connaissances, notamment le postulat d’une connaissance non objectivable, nous a amené à distinguer trois natures d’informations : les informations circulantes, les informations sources de connaissances, les informations partagées.
1. Les « informations circulantes »
Les « informations circulantes » constituent le flux d’informations qui statuent sur l’état des processus de production et de fonctionnement de l’entreprise. Si le système d’information numérique est, en soi, le système de production de l’entreprise, par exemple le système d’information numérique d’une banque, les informations circulantes statuent sur l’état du matériau informationnel à transformer et sur l’état du module du système d’information numérique qui procède cette transformation. Si le système de production de l’entreprise concerne des matériaux physiques, les informations circulantes statuent sur l’état du matériau avant et après la transformation et fournit aussi des informations sur tout l’environnement qui permet cette transformation.
2. Les « informations sources de connaissances »
Les « informations sources de connaissances » sont, notamment, le résultat d’une démarche d’ingénierie des connaissances, qui propose des techniques et des outils d’acquisition et de représentation des connaissances : les connaissances, encapsulées dans des logiciels capables de les restituer ensuite sous la forme d’informations directement compréhensibles par les personnes, deviennent ainsi accessibles et manipulables.
On est alors conduit à intégrer dans le système d’information numérique, des modules spécifiques appelés « systèmes d’informations sources de connaissances » qui font directement appel dans leur conception et les techniques mises en œuvre aux résultats issus de la nouvelle orientation des recherches en ingénierie des connaissances [Aussenac-Gilles et al., 96] [Charlet et al, 00].
3. Les « informations partagées »
Nous appelons « informations partagées » les informations traitées par les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Ces technologies provoquent une rupture avec les technologies antérieures, rupture liée au rapport de l’homme à l’espace, au temps et à la capacité d’ubiquité qui font passer du monde physique au monde virtuel et de la manipulation d’objets concrets à la manipulation d’objet abstraits.
Le transfert instantané de documents numériques multimédia qui intègrent du texte, des images et du son, la possibilité d’échange asynchrone d’informations qui transforme notre rapport au temps et à l’espace, les conférences électroniques qui nous permettent d’être au même instant à des endroits différents, engendrent une transformation de nos comportements au travail : ils accélèrent l’édition et la diffusion des documents, ils apportent un soutien au travail en groupe, ils modifient nos modes de communication et surtout, ils démultiplient au travers du dialogue la transmission et le partage des connaissances tacites qui, jusqu’à présent, s’opéraient de personne à personne sur le mode du compagnonnage. En un mot, ils génèrent des processus d’échange d’information et de partage de connaissances en temps réel, inimaginables avec les technologies antérieures. Nous appelons « informations partagées » les informations traitées par ces technologies.
6.2. L’acteur et le système d’information numérique
Notre recherche s’appuie très largement sur une acception du terme connaissance qui ne dissocie pas la personne des processus métiers dans lesquels elle se trouve engagée, des actions qu’elle mène, des décisions qu’elle prend, des relations qu’elle a avec son système environnant (personnes et artefacts). Les données qu’elle reçoit, celles qu’elle va chercher selon la perspective dans laquelle elle se place, sont transformées par interaction avec ses propres savoirs et savoir-faire : ces données sont activées pour en faire des connaissances utiles à la compréhension et la résolution des problèmes, la prise de décision et l’exercice de l’activité à effectuer.
Ce qui est essentiel dans cette vision c’est cette relation créatrice, entre le sujet et l’objet, prenant en compte « l’intention », la finalité de l’action, l’orientation des connaissances vers un objectif opérationnel lié à l’exercice des activités [Delaigue & Grundstein, 96].
S’agissant du système d’information numérique, cette vision focalise la pensée sur l’acteur à son poste de travail informatisé, utilisant et produisant la plus large variété d’informations qui lui sont nécessaires. Elle est à l’origine de la métaphore de « l’acteur et du système d’information numérique » représentée sur la figure.
L’acteur à son poste de travail informatisé, engagé dans un processus métier est soumis aux contraintes inhérentes à ce processus. Pour agir, il doit comprendre les situations, trouver des solutions et décider. Pour cela, et selon ses intentions propres, il met en œuvre des compétences, fondées sur ses savoirs et ses savoir-faire. Il doit pouvoir, tout à la fois : recevoir les « informations circulantes » spécifiques à son activité ; accéder à des « informations sources de connaissances » et échanger des « informations partagées ». De plus il doit capitaliser les connaissances produites dans l’exercice de son activité.
Le poste de travail informatisé, fenêtre ouverte sur le monde de l’entreprise, devient l’instrument incontournable de tout acteur-décideur, quel que soit son niveau hiérarchique.
Ainsi, au-delà de ses fonctions d’acquisition, de traitement, de stockage et de restitution des informations traitées où stockées, le système d’information numérique apporte le support indispensable au management des connaissances. L’enjeu devient alors de penser à la meilleure façon, tant technologique qu’organisationnelle, de concevoir un système d’information numérique qui permette à l’acteur à son poste de travail, dans sa situation, d’obtenir les informations circulantes, de partager ses connaissances tacites et d’accéder aux informations sources de connaissances qui lui sont nécessaires pour comprendre et résoudre les problèmes qu’il rencontre, prendre des décisions, exercer son activité et capitaliser les connaissances produites dans l’exercice de cette activité.
Jusqu’à présent les concepteurs du système d’information numérique traitaient des « informations circulantes » dans notre acception du terme. Nous devons, aujourd’hui, penser un système d’information qui intègre trois nature d’informations : les informations circulantes, les informations partagées, les informations sources de connaissances. De ce point de vue, dans la conception de système d’information numérique, il est primordial de tenir compte [Grundstein & Rosenthal-Sabroux, 99] :
• des avancées en matière de conception de systèmes d’informations circulantes fournies, par exemple, par le langage de modélisation UML et son processus de développement (RUP) [Kettani et al, 98];
• des apports des Progiciels de Gestion Intégrés ;
• des technologies de traitement des informations partagées (GED, Groupware, workflow, CSCW, outils de fouille et de présentation de données, outils de compréhension de texte, moteurs de recherche et outils de personnalisation de l’information) ;
• des techniques de gestion des connaissances pour activer le cycle de capitalisation des connaissances et repérer, préserver, valoriser, actualiser les informations sources de connaissances ;
• des retombées des recherches en ingénierie des connaissances.
7. Conclusions
Confrontées aux transformations rapides provoquées par les influences conjointes de la mondialisation des marchés, de la libéralisation de l’économie et de l’impact des nouvelles technologies de l ’information et de la communication, les entreprises sont placées devant la nécessité d’accorder plus d’autonomie à chaque employé qui se transforme ainsi en acteur-décideur (knowledge worker), quel que soit son rôle et sa position hiérarchique.
Elles prennent conscience de la valeur du capital immatériel, notamment de leur capital de connaissances. Cela se perçoit au travers de l’attrait de plus en plus grand pour le management des connaissances.
Ce concept, encore émergeant, répond à une problématique ancienne celle de la capitalisation des connaissances. Au delà de l ’approche implicite pratiquée au quotidien, les entreprises ont besoin d’une approche consciente et volontariste qui doit, avant tout, s’aligner sur les orientations stratégiques de l ’organisation. Ainsi,
pour répondre aux défis de la nouvelle économie, chaque entreprise doit être abordée selon ses singularités de situation et d ’organisation.
La capitalisation des connaissances n’est pas une fin en soi. C’est une problématique permanente, omniprésente dans les activités de chaque employé :
• il faut accélérer les processus de décision et en améliorer le fondement ;
• il faut rendre la personne plus performante dans l’exercice de ses activités, lui permettre d’acquérir de nouveaux savoir-faire, de maintenir et d’élever son niveau de compétence ;
• il faut favoriser son autonomie et la rendre plus mobile et plus apte à affronter les fluctuations engendrées par les contraintes économiques.
Cela implique de mettre en place un système d’information numérique ouvert et adaptatif, qui donne à chaque acteur, à son poste de travail, les moyens de fournir, de recevoir, d’accéder et de partager “la plus large variété d’informations qu’il juge nécessaires et ce le plus rapidement possible ”. Ainsi nos recherches ont conduit à distinguer trois natures de d’informations et à élaborer une vision du système d’information numérique centré sur l’acteur-décideur à son poste de travail informatisé [Grundstein & Rosenthal-Sabroux, 99].
Emportées par le courant de la mondialisation de l’économie, les organisations changent de paradigme : le capital immatériel, notamment la connaissance, constitue un atout prépondérant. L’homme, qui doit décider pour agir, se trouve confronté à des problèmes dont la solution, au delà des contraintes matérielles qui peuvent être résorbées, fait appel à des connaissances pour être résolus. Pour valoriser le capital de connaissances, la personne à son poste de travail informatisé, fenêtre ouverte sur le monde de l’organisation, doit pouvoir : recevoir les informations circulantes spécifiques à ses activités ; accéder à des informations sources de connaissances ; partager ses connaissances tacites. Le système d’information numérique, envisagé de ce point de vue, est un élément incontournable de ce changement de paradigme.
Dans cette perspective une approche prospective conduisant à la transformation de l’entreprise, par étapes successives, depuis l’entreprise cloisonnée jusqu’à l’entreprise apprenante et à l’implantation d’une fonction de management du capital intellectuel ou de management des connaissances, l’entreprise doit agir selon trois axes, à notre avis, essentiels :
• Au-delà des processus d’ingénierie physique et d’ingénierie de l’information, l’entreprise – pour devenir apprenante – doit développer un processus d’apprentissage organisationnel.
• De plus, elle doit renforcer ses démarches institutionnelles : identifier ses compétences distinctives globales (core competence) et les domaines de connaissances stratégiques, exercer une veille active, mettre en place une gestion des compétences, gérer un réseau d’experts, établir un répertoire des ressources technologiques saillantes, encouragée la constitution de communautés de pratiques.
• Enfin, elle doit promouvoir une approche pragmatique adaptée aux problèmes soulevés par la capitalisation des connaissances : fertiliser le terrain, multiplier les actions quotidiennes de sensibilisation, exploiter les moyens de formation à distance et mettre en place des habitudes de communication et de travail de groupe plus performantes soutenues par les nouvelles technologies de l’information et de la communication.
Références
[Arsac, 1970] J. Arsac : La science informatique, Dunod, 1970.
[Aussenac et al, 96] Nathalie Aussenac-Gilles, Philippe Laublet, Chantal Reynaud : Acquisition et ingénierie des connaissances, tendances actuelles. CÉPADUÈS-EDITIONS, 1996. ISBN : 2-8542-8417-8
[Baumard, 96] Philippe Baumard : Organisations déconcertées. La gestion stratégique de la connaissance.
Masson, Paris, 1996
[Charlet et al, 00] Jean Charlet, Manuel Zacklad, Gilles Kassel, Didier Bourigault : Ingénierie des connaissances, Evolutions récentes et nouveaux défis. Editions Eyrolles et France Télécom-CENT, Paris 2000. ISBN : 2-212- 09110-9
[Davenport & Prusak, 1998] Thomas H. Davenport, Laurence Prusak : Working Knowledge. Harvard Business School Press, Boston, 1998.
[Delaigue & Grundstein, 96] Didier Delaigue, Michel Grundstein : Capitaliser et Dynamiser les Connaissances de l’Entreprise : Un Enjeu Stratégique. Actes du Colloque « Choix Organisationnels et Compétitivité », Les Rencontres d’Affaires. Paris, 18-19 juin 1996.
[Drucker, 93] Peter Drucker : Au-delà du Capitalisme, La métamorphose de cette fin de siècle. Dunod, Paris 1993. Edition originale « Post-capitalism Society », Butterworth-Heinemann Ltd. , Oxford, Great Britain.
[Edvinsson & Malone, 97] Leif Edvinsson, Michael S. Malone : Intellectual capital. HarperBusiness, New York, 1997.
[Ermine, 96] Jean-Louis Ermine : Les systèmes de connaissances, Hermès, 1996. [Ganascia, 90] Jean-Gabriel Ganascia : L’âme machine, Seuil, 1990.
[Grundstein & Malhotra, 98] Michel Grundstein, Yogesh Malhotra : Companies & Executives In Knowledge Management. Virtual Library on Knowledge Management, 1997-98 (URL :http://www.brint.com/km/cko.htm) [Grundstein & Rosenthal-Sabroux, 99] Michel Grundstein, Camille Rosenthal-Sabroux : Système d’information et capitalisation des connaissances : un enjeu nouveau pour la conception de système d’information. Colloque
PREDIT, Paris La Défense, octobre 1999.
[Grundstein, 94] Michel Grundstein : Développer un système à base de connaissances : un effort de coopération pour construire en commun un objet inconnu. Actes de la journée « Innovation pour le travail en groupe », Cercle pour les Projets Innovants en Informatique (CP2I), novembre 1994.
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