Pourquoi gérer les connaissances ?
Panorama des solutions logicielles de Knowledge Management et de leur contribution au processus d’innovation
par M. Gilles Toulemonde, i-nova
Introduction au Knowledge Management
Depuis la fin des années 90, un mot fait fureur : Knowledge Management (KM). On ne compte plus le nombre de salons, congrès, publications ou logiciels dédiés à cette discipline. Effet de mode ou véritable révolution ? Pour certains cette fureur a un goût de déjà-vu : Les systèmes experts (1) avaient le vent en poupe au début des années 90 avant que ne s’imposent les notions de « Learning organisation » (2) puis finalement de Knowledge Management. Si la problématique de la gestion des connaissances dans la stratégie d’entreprise n’est pas récente, ce sont les technologies proposées aujourd’hui qui constituent une petite révolution. Certes, réduire le KM à ses seuls développements technologiques est une erreur. Toujours est-il que si on peut faire du KM sans outils, sa concrétisation passe par un traitement informatique. Nous avons choisi dans cet article de nous consacrer à la technologie car, à nos yeux, elle illustre l’évolution du Knoweldge Management.
Historiquement l’offre technologique n’en est pas à ses premiers balbutiements. Les systèmes experts et systèmes de gestion de la documentation (GED) ont cédé la place à des portails d’entreprises gérant bases de données, échanges électroniques et travail collaboratif. Microsoft en a fait un de ses axes stratégiques de l’année 2001. Son offre, jusqu’à présent disséminée au sein de différents produits, converge aujourd’hui vers un produit unique combinant une plate-forme pour la construction de portails et un système de gestion électronique de documents et de travail collaboratif. L’avènement des nouvelles technologies de l’information a largement contribué au développement de ces solutions logicielles (3) . Celles-ci peuvent faciliter l’acquisition d’informations externes, le partage de connaissances internes ou la gestion de leur distribution. A travers les systèmes experts les « Learning organisation » ou le « KM », les organisations ont poursuivi la même illusion : mettre automatiquement en relation la bonne information avec la bonne personne. Mythe ou réalité ? Les solutions actuelles ne taisent pas cette interrogation. Mais il ne faudrait pas rejeter l’intérêt du Knowledge Management.
En effet, le KM a d’autres finalités que l’accès systématique à la bonne information. Propres à chaque entreprise, celles-ci doivent être éclaircies avant d’entreprendre toute démarche, sans quoi des sommes colossales peuvent être investies inutilement. Les performances des moteurs de recherche ne doivent pas occulter l’interrogation fondamentale qui se pose à toute entreprise : quel but poursuivons-nous avec une démarche de Knowledge Management ?
Conserver capital intellectuel & faciliter le travail collaboratif
Conséquences inattendues des licenciements économiques, des départs en retraite et surtout de la mobilité professionnelle, de plus en plus d’entreprises s’aperçoivent qu’elles ne savent plus faire ce qu’elles savaient faire. Face à cette fuite de savoir-faire, les entreprises cherchent sans savoir bien comment s’y prendre à protéger et à faire fructifier les connaissances de ceux qui partent. Les exemples ne manquent pas de sociétés où il a fallu rappeler un retraité ou un collaborateur licencié pour remettre de l’ordre dans les idées. Ceci pose bien entendu des problèmes humains car les collaborateurs licenciés ne sont pas toujours aussi volontaires à la réintégration même ponctuelle. Cette problématique constitue aux yeux de beaucoup un des enjeux du Knowledge Management.
Moins assujetties aux départs de collaborateurs certaines entreprises y voient avant tout un outil de travail collaboratif. A l’heure de l’internationalisation des sociétés, de nombreux projets sont répartis sur plusieurs sites parfois distants de plusieurs milliers de kilomètres. L’enjeu du Knowledge management devient celui du partage des connaissances.
Les outils de KM ont été développés en cherchant à répondre à ces deux problématiques. Qu’il s’agisse des offres de Lotus, de Microsoft, de PlumTree, de Documentum, d’Autonomy ou encore de Knowings le schéma technologique reste le même : au cœur, un moteur de recherche standard ou sémantique apporte la pertinence des réponses aux requêtes. Pour l’interface, un portail d’entreprise propose des fonctions de gestion de projet collaboratif, de gestion des compétences (recherche d’experts) ou encore de forum de discussion.
Ces fonctionnalités suffisent-elles à justifier l’investissement ? La réponse dépend beaucoup du profil de l’entreprise. Mais faut-il limiter l’intérêt du KM aux avantages présentés ci-dessus ? N’y a t-il pas plus que la valeur du capital intellectuel ou l’optimisation des échanges entre collaborateurs ?
Le Knowledge Management sert-il l’innovation ?
Si l’impact du mot « Knowledge Management » est notable que dire du terme « innovation ». Son sens peut varier d’une situation à une autre, mais la fréquence avec laquelle il est utilisé traduit un changement important : aucune équipe dirigeante ne peut se permettre d’ignorer la nécessité vitale de l’innovation pour son entreprise, quelques soient les secteurs d’activités (start-up de l’Internet, de l’automobile, l’aérospatiale, les industriels de l’électroménager, ou encore des loisirs). Cette évolution concerne notre économie tout entière.
Logiquement ces deux disciplines, « KM » et « Innovation », sont amenées à se rencontrer. L’enjeu est tel que la croisée des deux, « Le Knowledge Based Innovation », est devenue une discipline à part entière. Souvent plus scientifique et technologique que le KM, la gestion des connaissances dédiée à l’innovation prend des formes diverses.
Certains éditeurs cherchent à rendre leur technologie plus cognitive, « c’est à dire qu’elle rende l’information plus compréhensible et utilisable dans un contexte opérationnel » (4) . L’innovation est alors associée à l’énonciation d’une problématique, et à la recherche dans une base de données d’une solution innovante. L’algorithme russe TRIZ (5) et les applications qui en découlent s’inscrivent dans cette logique. S’appuyant sur des bases de données, ces outils proposent des algorithmes permettant l’analogie entre des problématiques et des données. L’objectif est d’apporter la bonne information à la bonne problématique. Si ces outils ont atteint une haute technicité, le processus d’innovation qui en découle laisse perplexe. En effet, traitant des connaissances stockées, l’algorithme ne prend pas en compte le raisonnement humain et la démarche qui a conduit à la production du savoir. Pourtant, en matière d’innovation, beaucoup estiment, que plus que la connaissance, le raisonnement et le cheminement sont déterminants.
L’invention du Walkman n’est pas le fruit d’une documentation détaillée de Sony sur les batteries, les cassettes magnétiques et autres technologies. Non, l’invention du walkman est l’œuvre d’un homme, Akio Morita, dont le talent a suscité l’association d’un cheminement technologique à une opportunité de marché. Car, une innovation réussie est bien la rencontre entre une idée technologique et une opportunité de marché, dont seule une étude approfondie permet le rapprochement. Il est ainsi très rare que technologie et opportunité de marché arrivent à maturité simultanément. Comment peut-on associer les deux ? Comment un couple marché-technologie peut-il être géré dans le temps? Aujourd’hui seul le talent assure un lien temporel entre la technologie et le marché. Mais ces talents sont rares à tel point qu’il serait trop risqué de construire une stratégie d’innovation autour d’eux. Les outils de KM devront associer l’essentiel des ressources de l’entreprise pour aider les processus d’innovation.
Comment innover ?
Depuis 2 à 3 ans, la littérature scientifique s’enrichie de parutions appuyant ces propos. Certains chercheurs se sont intéressés à l’évolution des connaissances dans l’entreprise, c’est à dire aux développements, aux transformations, aux changements que subissent les connaissances au gré des changements internes de l’entreprise ou de son environnement. « Rechercher dans le passé des lois d’évolution ou des facteurs d’innovation permet de mieux comprendre les mécanismes qui ont contribué à l’émergence de solutions innovantes et d’étudier la pertinence de ces facteurs pour le présent et le futur » (6) . D’autres chercheurs, notamment le centre de gestion scientifique de l’Ecole des Mines de Paris, attachent de l’importance au lien existant entre construction des savoirs et construction des concepts (7) .
Ces recherches, dont certaines ont débouché sur des méthodologies, prennent une direction opposée aux outils existants. Moins ambitieuses d’un point de vue technologique mais plus proche des raisonnements humains et des démarches des équipes, elles suscitent un intérêt croissant en France et en Europe (8). Malheureusement, comme beaucoup de solutions de Knowledge Management, elles trouvent leur limite dans leurs applications technologiques. En effet, cette gestion « plus humaine » du savoir ne déroge pas au besoin de saisie de l’information, bien au contraire. Analyser l’évolution des connaissances ou le lien entre le savoir et les concepts nécessite une rigueur et détermination des équipes à partager leur information. En matière d’innovation, cette implication est souvent difficile à obtenir. En effet, un ingénieur est en droit de se demander s’il peut confier une idée en émergence au risque d’afficher des raisonnements insensés. L’efficacité des outils de KM dans le processus d’innovation s’oppose à ces comportements humains et repose sur la capacité des outils à inviter nos ingénieurs, commerciaux ou cadres dirigeants à capitaliser et partager leurs réflexions sans pour autant ronger leur emploi du temps. Pour séduire un plus grand nombre et atteindre un degré de systématisation, ces outils doivent présenter un intérêt direct pour l’utilisateur autre que la stratégie à long terme de l’entreprise.
Le triangle magique: Knowledge Management, projet et innovation
Dans ce contexte il faut s’interroger sur les raisons qui poussent une équipe à mettre ses idées à plat ? Que peut apporter la saisie des choix et des alternatives de conception ? De la visibilité, qui permet, à toute phase du projet, d’être plus objectif et réactif. Ceci est d’autant plus pertinent lorsqu’il s’agit de projets innovants constamment remis en cause. En effet, une cartographie des idées et des réflexions est un excellent support d’aide à la décision et de gestion dans un environnement évoluant rapidement.
Les outils de KM dédiés à l’innovation devront se rapprocher de la gestion de projet innovant s’ils souhaitent une meilleure saisie du savoir-faire. Rapprocher les outils de KM des besoins opérationnels de l’entreprise permettrait de remplir un triple objectif : une plus grande transparence dans les décisions, une plus grande adaptabilité au changement dans la gestion de projet, et une meilleure gestion de l’innovation à court et long terme.
Le couple gestion de projet gestion des connaissances (PM-KM) devient ainsi un support aux processus d’innovation de l’entreprise. Les chercheurs et industriels qui suivent ce chemin concluent par une vision ambitieuse: les solutions de gestion de projet, de gestion des connaissances (KM) et de gestion de l’innovation convergeront pour former à terme une unique solution.
(1) Cf. HATCHUEL et WEILiULe système et l’expertlo 92
(2) Cf Ikujiro NONAKA. « The knowledge learning company », 1995
(3) L’essentiel de l’offre logicielle à moins de 3ans, « Panorama des solutions de gestion de la connaissances », F.R.A
(4) Citation de Jean-Louis Ermine parue dans Industries et Techniques n°826.
(5) Acronyme russe pour la Théorie de la Conception Innovante
(6) Jean Louis Ermine, Evolution des connaissances et innovation, 2001. Du même auteur, The MASK method
(7) « Pour une théorie unifiée de la conception », A. Hatchuel, B. Weil, mars 1999
(8) En témoigne le nombre de publications en 2001.
Source : I-Nova